En voilà, un objet télévisuel qu’il conviendra d’analyser dans tous les sens. Le 18 mars 2024 a débuté sur Canal+ la diffusion d’une série qui devrait encore pas mal faire causer, La Fièvre, nouvelle création d’un des cerveaux à l’origine de la très réussie et (car ?) prophétique Baron Noir, Eric Benzekri.
L’histoire, ici, démarre par un pétage de câble : celui d’un footballeur star, qui va traiter son entraîneur de "sale toubab", insulte agrémentée d’un coup de boule, lors de la très médiatique soirée du Ballon d’or. À partir de là, des communicants de crise vont tenter d’éteindre l’incendie, et d’autre tenter d’en profiter pour faire parler de "racisme anti-blanc", puis dérouler un récit visant à mener au chaos.
Du côté de ces communicants de crise qui veulent que la situation s’apaise, c’est Nina Meurisse, actrice caennaise en plein boom et qui ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin tant son rôle est ici encore tenu. Côté pyromanes, c’est Ana Girardot, déstabilisante au début, à la limite de la caricature, mais dont le personnage prend de l’ampleur au fur et à mesure de la saison.
Comme des héroïnes de chez Marvel, les deux s’affrontent en utilisant leur même super-pouvoir, celui de connaître les rouages qui peuvent faire chavirer l’opinion publique, dompteuses d’algorithmes. On parle ici de fenêtre d’Overton, de réseaux sociaux, de Cyril Hanouna, de politique, de panels…
En toile de fond, le foot, décidément bien plus intéressant dans le domaine sériel lorsqu’il est relégué au second plan (Ted Lasso était déjà formidable), lorsqu’il ne se focalise pas sur ce qu’il se passe sur le terrain, mais plutôt sur les conséquences d’une victoire, d’une défaite, les enjeux d’un match, les discours de vestiaires, l’économie du sport, l’opium du peuple… Benjamin Biolay, qui interprète ici le président du club, est parfait.
Tout ceci est passionnant, brillamment écrit, même si parfois un chouïa programmatique : chaque scène a son utilité dans le récit qui se déroule, chaque personnage son rôle, et son évolution, dans le message véhiculé. Pas grand-chose ne dépasse, ne déborde, ne vient contredire le postulat.
C’est sûrement là la faiblesse d’une série virtuose, aux limites proches de celles de son HPI d’héroïne, plus soucieuse d’avoir un coup d’avance que de laisser le temps à ses protagonistes de prendre de l’ampleur, vivre au-delà de l’intrigue.
Mais après tout, qu’importe : toute la force que déployait Baron Noir dans ce qu’elle montrait d’une époque politique est toujours là. Et d’aisément pouvoir analyser La Fièvre comme un prolongement de la série avec Kad Mérad, où les politiciens sont dorénavant dépassés, où l’opinion publique se façonne plus via des influenceurs et autres algorithmes insondables de réseaux sociaux emplis de bots, que face à des débats télévisés.
Une brillante et clairvoyante photographie de l’époque et de tous les risques qu’elle comprend.