EN ATTENDANT :
Lisette Lombé, artiste plurielle, sera notre prochaine poétesse nationale dès janvier 2024. On vote pour la poésie partout. Et on constate avec joie cette offensive de « réenchantement du monde des assiettes aux gares ».
C’est une année « un peu folle » pour Lisette Lombé. L’artiste plurielle est entrée en poésie en 2015, par la grâce du slam. Depuis, elle incarne les mots et les luttes, sur scène et dans ses écrits, de Black Words à On ne s’excuse de rien, de Venus Poetica à Tenir, de Brûler Brûler Brûler à sa chronique Trottoirs philosophiques que vous lisez dans les pages du Vif Weekend.
Pour l’heure, en sus de tout le reste, de ses ateliers d’écriture, de ses projets d’écriture romanesque, de son album jeunesse Enfants Poètes (Robert Laffont), de son conte électronique Brûler Danser, la poésie pulse en elle et lui vaut le titre de « poétesse nationale ». Un titre symbolique qui prendra corps en janvier 2024 et pour une durée de deux ans. Un titre emblématique d’une volonté de réenchanter le monde. Puisqu’il s’agit de « valoriser les échanges littéraires et culturels entre les 3 communautés linguistiques de la Belgique », à l’initiative du Poëziecentrum de Gand, de La Maison de la Poésie et de la Langue Française de Namur, de l’organisation littéraire VONK & Zonen d’Anvers, en collaboration avec la Maison des Littérature Passa Porta de Bruxelles, la Maison de la Poésie (Amay), le fiEstival maelstrÖm, le Théâtre Poème 2, les Midis de la Poésie (Bruxelles) et Jeugd en Poëzie (Anvers).
C’est donc une année un peu folle. Et volontiers Lisette Lombé utilise la métaphore du millefeuille. « On dirait, dit-elle, des épaisseurs qui s’ajoutent les unes aux autres ou alors des cercles, comme si la maturité au niveau des ateliers et de la scène et de l’écriture s’additionnaient ou se croisaient… J’ai l’impression d’être à un beau carrefour mais c’est un peu vertigineux parce qu’il y a beaucoup et que ce sont des énergies très différentes… »
Très contrasté ! D’abord une grande fierté, parce que c’est une reconnaissance du milieu, des grands organismes porteurs de poésie, les maisons de la poésie, qui connaissent mon travail depuis le début et m’ont fait confiance dès le tout début. Et cette confiance qui s’inscrit dans le temps m’est très précieuse, c’est une continuité… Mais je ressens également une forme d’appréhension : c’est national, il faut donc que j’aille aussi du côté flamand et du côté germanophone… Or, la maîtrise d’autres langues, c’est mon talons d’Achille ! Cela m’est venu à l’esprit : « Suis-je la plus légitime compte tenu de ça ? » Cette mandature dure deux ans, je n’ai pas envie de rentrer en stress, j’ai donc dû me faire un coaching de bienveillance ! Il faudra que j’applique tous les bons conseils que je donne lors de mes coaching : dans mes ateliers, je dis souvent qu’on est comme des bibliothèques poussiéreuses, et qu’il faut se rappeler qu’on a tous ces livres en nous. Tout est là à l’intérieur mais il faut trouver la bonne porte, la bonne clef. J’ai étudié le Néerlandais en secondaire pourtant je me sens en insécurité linguistique, je suis comme une touriste dans mon propre pays quand je vais à Anvers, Gand ou Ostende… Je vais donc tenter de me souvenir de ça, c’est à l’intérieur, en reprenant le temps d’aller sur ce territoire, et pas comme un touriste, je vais me refamiliariser avec cette langue. La rencontre se fera également sur la traduction, le voyage des mots peut se faire aussi de cette manière-là. L’importance est que les textes et les idées circulent… Dans « Poétesse nationale », le national est important pour moi. Mon ancrage belge compte. C’est là que je suis née en femme de lettres, mes maisons d’édition belge, l’Arbre à Paroles et Maelström Reévolution, m’ont fait confiance dès le début, c’est là qu’est mon territoire, c’est là que je mène mes ateliers, que je crée cette communauté poétique, c’est là que mes enfants grandissent…
Laurence Vielle fut poétesse nationale en 2016, c’est une être habitée très inspirante et une figure tutélaire dans mon travail pour le côté performatif de la poésie, de la scène, elle l’incarne vraiment. Et Carl Norac, poète national en 2020, l’est aussi. Je l’ai trouvé juste durant sa mandature. Pendant le confinement, avec ses Fleurs de funérailles, il a incarné ce que pour moi doit être la poésie : un bien d’utilité publique. J’ai ainsi été « poète de garde », j’ai répondu à plusieurs famille en urgence sur une création de texte pour les soutenir, cela m’a bouleversée et cela m’a rappelé le sens, au-delà de la forme des mots, d’un travail sur la langue. L’utilité pour moi, ce sera ça.
« Dans « Poétesse nationale », le national est important pour moi. Mon ancrage belge compte. »
On m’a demandé de donner des mots clefs, des couleurs, des sillons de ce que sera ma mandature, il y a ce mot utile. Et les mot poésie sociale, éducation permanente, espace public, estime de soi, santé mentale, marche, danse, mouvement, corps… Je devrai écrire 12 textes au final en lien avec l’actualité et qui rendent vivant ce qu’on est en train de faire… Mais en dehors de cela, on est totalement libre. On nous demande de réaliser nos rêves… Je désire profiter de la visibilité que donne cette étiquette de poétesse nationale pour donner une caisse de résonance à ce qu’on fait déjà sur le terrain avec le collectif L-SLAM, être un accélérateur de particules pour certains projets restés en friche dont cette question de matrimoine. Être une caisse de résonance pour la poésie, les poètes, en général et les voix des poétesses, en particulier.
Une personne poreuse à la beauté du monde, comme un réceptacle de cette beauté et son inverse, de la doublure du velours. On est à cet endroit là de porosité et de réceptacle et de métamorphoses en mots des émotions. Je me vois comme cela, comme une espèce d’éponge du monde qui a cette capacité de retranscrire en mots, des mots dits, écrits, dansés, peints, sculptés, tout ce qui fut respiré, avalé, ressenti, senti.