Sortie avec ados
EXPOSITION PHOTO
Chicago, May 16, 1957 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery
Le musée de la Photographie met à l’honneur Vivian Maier (New York,1926 – Chicago, 2009), une gouvernante d’enfants aux Etats-Unis au milieu du 20e siècle ayant traversé sa vie dans le silence et l’anonymat avant d’être révélée comme photographe après la découverte fortuite de son œuvre, une œuvre photographique brillante sortie de l’ombre, qui raconte la vie. Avec une sélection de 140 images et vidéo, l’exposition Anthology permet de saisir l’ampleur de l’œuvre de Vivian Maier, photographe autodidacte et passionnée de l’image, qui inventa un langage à la croisée de la photographie humaniste et de la streetphotography.
Vivian Maier (1926-2009) travailla comme gouvernante d’enfants à Chicago au début des années 1950, et pendant plus de quatre décennies. Toute une vie passée inéluctablement inaperçue jusqu’à la découverte en 2007, de son corpus photographique : une œuvre colossale constituée de plus de 120.000 négatifs, de films super 8 et 16mm, d’enregistrements divers, de photographies éparses et d’une multitude de pellicules non développées.
Malgré le manque de recul pour confronter les différentes analyses scientifiques et critiques de ce travail, l’exposition Anthology permet de saisir l’ampleur de l’œuvre de Vivian Maier. Avec une sélection de 140 images et vidéos, cette présentation permet d’apprécier la qualité du regard et la subtilité avec laquelle Vivian Maier s’est approprié le langage visuel de son époque.
Totalement autodidacte, Vivian Maier photographiait la rue, des gens, des objets, des paysages ; en définitive, elle photographiait ce qu’elle voyait, tout simplement, abruptement. Elle savait saisir son temps en une fraction de seconde. Elle racontait la beauté des choses ordinaires, cherchant dans le quotidien et le banal, les fissures imperceptibles, les inflexions furtives du réel.
Son monde c’était les autres, des inconnus, des anonymes que Vivian Maier effleurait le temps d’une seconde, de sorte que ce qu’elle photographiait, c’était d’abord un rapport de distance, cette même distance qui faisait de ces personnages, les protagonistes d’une anecdote sans importance. Et même si elle ose des cadrages impérieux, déconcertants, Vivian Maier reste au seuil, voire en limite de la scène qu’elle photographie, jamais au-delà pour ne pas en être invisible.
Elle prend part à ce qu’elle voit et devient elle-même sujet. Les reflets de son visage, son ombre qui s’allonge sur le sol, le contour de sa silhouette, se projettent dans le périmètre de l’image photographique. Vivian Maier a réalisé de nombreux autoportraits tout au long de ces années, avec l’insistance de quelqu’un en quête de soi-même. Elle cultivait une certaine obsession, moins pour l’image en soi que pour l’acte de photographier, pour le geste, comme un accomplissement en devenir. La rue était son théâtre, ses images un prétexte.
Anne Morin, Commissaire de l’exposition
AUTOPORTRAITS
Les autoportraits de Vivian Maier jalonnent son parcours photographique et traversent son œuvre de part en part. Elle utilise différents procédés visuels pour signifier sa présence dans l’image. Ces multiples typologies de représentation comme le dessin d’ombre, la silhouette projetée, le reflet et la réflexion, ou encore l’image dans l’image, font la richesse et la singularité de son langage photographique. Elle décline ce vocabulaire selon les situations et joue avec ces éléments pour affirmer sa présence à un instant et un endroit précis. Ces indices sont très variables. Ils peuvent passer inaperçus et n’être qu’une discrète allusion, un clin d’œil à qui sait les déceler. A l’inverse, ils peuvent être une affirmation claire et indéniable que le sujet de l’image est l’autoportrait où Vivian Maier fait face à elle-même.
D’une manière ou d’une autre, autoreprésentation ou autoportrait, allusion ou déclaration d’intentions, elle invite le spectateur à un jeu de piste dont la finalité reste une énigme. L’autoportrait est la preuve irréfutable de sa présence dans un monde où elle cherchait sa place.
PORTRAITS
Les portraits de Vivian Maier sont le moyen d’approcher « l’autre ». Ils témoignent de sa curiosité pour la vie quotidienne et les traits des personnes qui ont retenu son attention. Si certaines photographies sont clairement des instantanés pris en cachette, d’autres sont le résultat de véritables rencontres avec ses modèles, photographiés de face et en gros plan.
Il est utile de faire la distinction entre les portraits de personnes de classe inférieure, auxquelles elle pouvait s’identifier, et les portraits de personnes de condition plus aisée. La classe ouvrière et les sans-abri sont le sujet d’un grand nombre de ses portraits, des photos instantanées prises à une certaine distance pour protéger ses sujets.
Dans le cas des portraits de la classe supérieure, Vivian Maier les pousse littéralement ou les heurte intentionnellement pour provoquer une réaction négative qu’elle saisit avec une pointe d’ironie.
SCÈNES DE RUE
Découvrir ces images des grandes métropoles américaines, c’est entrer au cœur du cheminement artistique de Vivian Maier : les rues des quartiers populaires de New York et Chicago forment la trame d’un récit qui précise les contours d’un autre monde, un monde dur et parfois tendre qui existe en marge du rêve américain.
Vivian Maier a constamment photographié les masses anonymes dans la rue, une grande variété de personnages avec leurs contradictions, leurs vêtements, leurs expressions et leurs poses. La rue était son théâtre, ses images un prétexte. Ses photographies instantanées trouvent le beau dans le banal, cherchant dans la vie de tous les jours la moindre trace de ces interstices quasi invisibles qui lui permettraient d’entrer dans « son monde ». Elle photographiait simplement ce qu’elle voyait, sans chercher l’exceptionnel, juste des petites choses vraiment importantes pour définir une personne ou une situation : un détail, un geste, une attitude, un moment charnière de la vie réelle qui devient une histoire.
Des étrangers, des anonymes, font partie de ce monde. Vivian Maier se positionne dans l’espace avec ces personnes ; elle cherche l’endroit idéal et l’angle parfait. Plutôt que de mesurer la lumière avec son appareil photo, elle mesure la distance qui la sépare de « l’autre ». En effet, la distance est le mot clé de son travail et représente la base de son modus operandi. Dans ses scènes de rue, elle n’entre jamais dans la scène qu’elle photographie, elle reste dans l’embrasure de la porte. Ni trop près pour intervenir, ni trop loin pour être invisible. Ce rapport à l’espace guide toute sa démarche artistique, révélant une science du cadrage qui souligne son originalité.
L’ENFANCE
L’enfance est un thème constant dans l’œuvre de Vivian Maier et revêt une importance vitale ; il n’est pas surprenant qu’elle ait été employée comme gouvernante. Les enfants jouent un rôle de premier plan, qu’ils posent individuellement, qu’ils jouent en groupe ou qu’ils regardent fixement l’appareil photo. Vivian Maier a pris des dizaines de photographies d’enfants accompagnés d’adultes, suggérant qu’elle s’intéressait également au lien entre les deux.
Les enfants dont elle s’occupe deviennent aussi ses modèles, prétextes à des mises en scène, des portraits, des histoires, des jeux, etc. Ils l’accompagnent dans ses longues promenades au cours desquelles elle découvre des milliers de lieux, de personnes, d’histoires et de secrets.
FORMALISME
Cette section définit parfaitement l’obsession de Vivian Maier pour l’acte de photographier plutôt que pour l’image en elle-même. Elle photographiait des personnes, la rue, des objets, des paysages, etc. On a parfois l’impression qu’elle n’envisageait ce qu’elle photographiait que d’un point de vue formel, sans se préoccuper du discours photographique, en valorisant les caractéristiques stylistiques des éléments qui apparaissent dans une image.
Deux aspects particulièrement caractéristiques de l’œuvre de Vivian Maier sont le cadrage et l’équilibre de ses photographies ; la plupart d’entre elles sont prises de face avec un certain sens pratique. Ceci est particulièrement visible dans les œuvres de cette section. La plupart sont des images d’éléments pratiquement accessoires, qu’il s’agisse de structures, de formes ou de géométries, composées pour créer une sorte de minimalisme visuel.
LA COULEUR
À partir de 1965, Vivian Maier se lance dans la photographie couleur. Ce passage à la couleur s’accompagne d’un changement technique : elle commence à travailler avec un Leica. Il s’agit d’un appareil beaucoup plus léger, avec un viseur à hauteur des yeux, deux différences significatives par rapport au Rolleiflex qu’elle utilisait jusqu’alors. Ce changement renforce son contact visuel avec les personnes qu’elle photographie.
Vivian Maier explore les caractéristiques du langage chromatique avec légèreté, développant son propre lexique. Elle met l’accent sur les détails criards, concentrant son regard sur les dissonances de la mode et jouant avec les contrastes ou avec les contrepoints chatoyants. Il en résulte une série d’images uniques, libres et même ludiques, Vivian Maier s’amuse avec la réalité par le biais de son appareil photo.
FILMS SUPER 8
Vivian Maier a commencé à filmer en 1960. Son objectif cinématographique est étroitement lié à son langage photographique ; il s’agit d’une expérience visuelle, d’une observation subtile et silencieuse du monde qui l’entoure. Il n’y a pas de narration ni de mouvements de caméra, le seul mouvement que l’on pourrait qualifier de cinématographique étant celui du bus ou du métro qu’elle emprunte.
Vivian Maier filmait tout ce qui la conduisait à une image photographique : elle observait, s’arrêtait intuitivement sur un sujet et le suivait. Elle zoome sur sa cible pour l’approcher de loin, se concentre sur une attitude ou un détail, comme les jambes ou les mains des personnes dans la foule. Le film est à la fois un documentaire – un homme arrêté par la police ou les destructions causées par une tornade – et une œuvre contemplative – l’étrange procession de moutons se dirigeant vers les abattoirs de Chicago.
CHRONOLOGIE
1926 Le 1er février, Vivian Maier naît à New York, d’un père d’origine austro-hongroise, Charles Maier, et d’une mère française, Marie Jaussaud-Maier. Les parents de Vivian ont une relation tumultueuse et se séparent rapidement. Son frère Carl, de six ans son aîné, est élevé sous la garde légale de ses grands-parents paternels.
1930 Vivian et sa mère déménagent dans le Bronx pour vivre avec la photographe Jeanne Bertrand, originaire de la même vallée française que leurs ancêtres.
1932 Vivian et sa mère s’installent en France, dans la ferme familiale de Beauregard, à Saint-Julien-en-Champsaur, puis dans la ville voisine de Saint-Bonnet- en-Champsaur. Vivian va à l’école et est élevée dans un catholicisme strict.
1938 Elles retournent à New York pour s’occuper de Carl qui doit être libéré d’une maison de correction. Ils vivent ensemble dans l’Upper East Side pendant un an.
1940 La famille se sépare définitivement et Vivian déménage dans le Queens chez une amie de la famille. Elle est employée à l’usine de poupées Madame Alexander.
1950 Vivian hérite du domaine familial de Beauregard et retourne en France pour sa vente. Au début de son séjour d’un an, elle achète une simple box ou un appareil photo pliant et prend ses premières photos. Par la suite, elle prend des centaines de photos des paysages et des habitants de la région.
1951 Vivian retourne à New York et poursuit ses activités photographiques, financées par ses revenus de nourrice, un emploi qui lui permet de passer du temps dehors.
1952-54 Au cours de l’été 1952, elle achète un appareil Rolleiflex. Elle prend des photos dans les rues de New York, mais tente également de développer une carrière commerciale. Elle continue à travailler comme nounou, accompagnant une famille en voyage au Canada et dans l’ouest des États-Unis.
1955 Fascinée par Hollywood et les célébrités, Vivian Maier tente sa chance à Los Angeles. Elle voyage à nouveau vers l’ouest en passant par le Canada et trouve un emploi de nounou. À l’automne, elle accompagne la tournée de concerts du Mary Kay Trio en prenant soin des enfants des musiciens. Le road trip se termine à Chicago où elle pose sa candidature pour un poste chez les Gensburg afin de s’occuper des trois garçons, John, Lane et Matthew.
1956-67 Elle passe 11 ans comme gouvernante chez les Gensburg tout en continuant à faire de la photographie de rue et de famille, et en installant une chambre noire au sous-sol. Elle passe des vacances au Canada et voyage avec la famille en Floride. En 1959, elle obtient un congé de six mois pour faire le tour du monde en bateau, avec des escales aux Philippines, en Inde, au Yémen, en Egypte et en Europe. Vivian termine son voyage en France, sa dernière visite à la maison de ses ancêtres.
1967-années 80
Elle quitte les Gensburg, les enfants ayant grandi, pour occuper de nombreux autres postes. Elle passe progressivement de la photographie aux diapositives couleur en utilisant un Leica. Elle explore d’autres supports en réalisant des enregistrements sur bande et des films de 8 et 16 mm. Elle commence à accumuler dans des espaces de stockage les journaux qu’elle collectionne avidement, ainsi que les tirages, les planches contact et les films non développés.
Années 90-2000
Elle souhaite encore travailler mais ne parvient pas à décrocher de poste. Elle continue à photographier jusqu’en 1999, mais à un moindre niveau. Elle vit à Rogers Park, près du lac Michigan. Les fils Gensburg l’aident à subvenir à ses besoins.
2008 En décembre, elle est hospitalisée à la suite d’une chute.
2009 Vivian Maier décède à Chicago le 21 avril à l’âge de 83 ans, à la maison de repos où les frères Gensburg l’avaient installée à sa sortie d’hôpital.
LA SUITE DE L’HISTOIRE
2007 John Maloof, jeune agent immobilier de 25 ans, à la recherche de photographies pour illustrer un livre d’histoire sur Chicago, acquiert aux enchères pour 380 dollars, une partie des biens d’une personne inconnue, incluant une grande quantité de photographies, films et négatifs, la location du box où ils étaient entreposés n’étant plus payée. Peu intéressé par cette acquisition, il l’a remise dans ses archives.
2009 Deux ans plus tard, il revient sur ce lot, le numérise et réalise la qualité des photos. Il retrouve dans un carton, une enveloppe au nom de Vivian Maier et lance une recherche sur Internet. Il découvre l’avis d’obsèques d’une femme du même nom décédée quelques jours plus tôt. Il contacte les auteurs de la nécrologie, les trois frères Gensburg. Il commence alors à reconstituer sa vie, rencontrer les personnes l’ayant connu, trie, classe, numérise le travail photographique qu’il a découvert.
2011 Il organise une première exposition Finding Vivian Maier au Chicago Cultural Center. Elle rencontre un succès immédiat, la vie et l’œuvre remarquable de Vivian Maier fascinent aussitôt le monde entier.
2013 II coproduit le documentaire Finding Vivian Maier où il relate les conditions de sa découverte et interviewe de nombreuses personnes l’ayant connue. A partir de cette date, les plus grandes galeries et musées organisent des expositions et rétrospectives qui suscitent partout un immense enthousiasme.
A LA RECHERCHE DE VIVIAN MAIER
Film documentaire réalisé et écrit par John Maloof et Charlie Siskel
2013 • 84 minutes
3 séances par jour : 10h30 ˃ 14h00 ˃ 15h45
Résumé : L’incroyable histoire d’une inconnue devenue à titre posthume l’une des plus grandes photographes du XXe siècle. Nounou anonyme née à New York, Vivian Maier réalisa plus de 100 000 clichés tout au long de sa vie, qu’elle conserva cachés. C’est en 2007 que John Maloof découvre son travail, qu’il n’a cessé de mettre en lumière depuis. Vivian Maier est aujourd’hui exposée partout dans le monde. John Maloof et Charlie Siskel reconstituent à la manière d’un puzzle la vie de Vivian Maier.
Exposition réalisée en collaboration avec diChroma photography
Sortie libre et gratuite pour tous les nicois