Horreurs sacrées et sacrilèges. Arts, violences et religions de la Renaissance à aujourd’hui.
Il est un lieu d’expression et d’expérimentation privilégié des rapports entre arts, violences et religions à la Renaissance et à l’âge baroque: celui de la représentation du martyre. Elle devient alors le laboratoire de la mise en tension entre une pulsion de voir l’horreur et une volonté de révélation du sacré en vue d'une conversion intérieure. Cette conférence explorera cette esthétique de l’« horreur sacrée », combinant peur, voire dégoût, et fascination, voire vénération, à travers l’oeuvre d’artistes aussi emblématiques que le Caravage, Poussin et Rubens. Elle explorera en particulier la façon dont ces peintres conçoivent la défiguration des corps comme un processus de (trans-)figuration de la sainteté, processus d’advenue d’une image au-delà du visible. Il s’agira par ailleurs de montrer comment cette imagerie du martyre résonne avec les guerres de religion qui déchirent alors l’Europe.
Ce parcours iconographique et iconologique débouchera sur une réflexion élargie relative aux rapprochements qu’on peut opérer entre cette promotion visuelle de la violence avec les formes de médiatisation de la violence terroriste, d’aujourd’hui. Il ne sera pas tant question de dégager des invariants anthropologiques que d’éclairer un certain nombre de modèles figuratifs qui constituent autant d’images-écran continuant à nourrir ou à contaminer notre imaginaire contemporain où se mélangent terreur et fascination face au spectacle de la violence médiatisée.
Professeur d’histoire de l’art à l’Université de Louvain, directeur du Centre d’analyse culturelle de la première modernité (GEMCA), et membre de l’Académie royale de Belgique, Ralph Dekoninck poursuit des recherches sur les théories et pratiques de l’image au premier âge moderne, sur la culture du spectacle baroque, comme sur l’iconographie du martyre. Parmi ses publications, on peut citer entre autres : Ad Imaginem. Statuts, fonctions et usages de l’image dans la littérature spirituelle jésuite du XVIIe siècle (Genève, 2005). La vision incarnante et l’image incarnée. Santi di Tito et Caravage (Paris, 2016). Horreur sacrée et sacrilège. Image, violence et religion, XVIe et XXIe siècles (Bruxelles, 2018).
La Rubrique EN ATTENDANT .... :
[Le Caravage est, selon Poussin, venu au monde pour détruire la peinture]
Nicolas Poussin (1594-1665), dont le premier voyage à Rome date de 1624, haïssait le Caravage (1571-1610) - qui pourtant influençait de nombreux peintres de sa génération.
Sur presque tous les plans, il en prenait le contrepied : la noblesse des sujets contre la vérité du naturel, l'intérêt pour la théorie contre la spontanéité, la profondeur du récit contre le regard, la ligne contre la couleur, la précision des figures contre la violence des contrastes, l'équilibre contre l'excès, la luminosité contre l'obscur retour des morts.
Les signes formels et expressifs qui le constituent devaient pouvoir se substituer exactement aux termes et à la syntaxe exacte de l'histoire.
Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer...
(Baudelaire, « Les Phares », Les Fleurs du mal, Section Spleen et Idéal, VI)