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On a des frissons après avoir vu “May December”, le nouveau film de Todd Haynes, à la fois insidieux, fucked up et totalement drama. L’Américain retrouve Julianne Moore et lui donne une partition aussi opaque que dans son culte “Safe” (1996). Le scénario, signé Samy Burch, s’inspire de l’affaire Mary Kay Letourneau, une enseignante américaine trentenaire qui, dans les années 1990-2000, a noué une relation avec l’un de ses élèves de 12 ans, Vili Fualaau. Le scandale avait alors lancé un vif débat sur les abus de pouvoir, l’emprise et la protection des mineurs.
Dans May December, Gracie (Julianne Moore) vit avec Joe (Charles Melton) depuis vingt ans, et sa relation avec lui entamée alors qu’il n’était qu’adolescent l’a conduite derrière les barreaux. Depuis qu’elle est sortie de prison, ils mènent ce qui a tout l’air d’être le quotidien idyllique d’une famille américaine parfaite. Jusqu’à ce qu’une actrice, Elizabeth Berry (Natalie Portman), vienne séjourner chez eux afin de s’inspirer de Gracie pour l’incarner dans son biopic. Commence alors une étude trouble sur la psyché des deux femmes, qui vient faire refluer toute la violence larvée depuis des années… Pour la faire sourdement affleurer à l’écran, Todd Haynes use d’une mise en scène feutrée, entre vibe soap opera étonnante et film d’enquête nébuleux. Le cinéaste nous a donné accès à son mood board, un document de cent une pages constitué d'images qui l'ont inspiré, et qu'il a constitué pendant la préparation du film. On y croise l’acide La Femme infidèle de Claude Chabrol, la photographe Tina Barney et ses scènes de vie domestiques américaines sursaturées, ou encore l’ambigu Persona d’Ingmar Bergman. Il nous en a commenté quelques pages.
« C’est drôle, certains de mes amis étaient beaucoup plus au fait de l’histoire de Mary Kay Letourneau à l’époque où elle faisait la une des journaux. J’ai dû rattraper mon retard quand on m’a proposé le scénario de May December. Samy Burch, la scénariste, nous plonge dans le monde que s’est créé Gracie, qu’elle a mis en scène pendant vingt ans. On devait le reparcourir à l’envers, pour comprendre comment elle avait bâti cette forteresse pour protéger sa famille du monde et des boîtes remplies de merde qu’elle reçoit dans sa boîte aux lettres. J’ai rassemblé ici des images de Mary Kay Letourneau et de Vili Fualaau, qui montrent les aspects heureux et plus sombres de l’histoire. On voit la différence d’âge, la différence raciale, une relation asymétrique. Et pourtant ils sont tous les deux très beaux, il y a de l’amour là-dedans. Il y a comme un contraste entre l’innocence et la culpabilité.»