Une belle vie de chien

Au fond du vieux refuge, dans ma petite cage,

Longtemps j’ai attendu, sans haine et sans rage,

Que vienne pour m’aimer et me sortir de là,

Un maître, une maîtresse qui voudrait bien de moi,

J’y ai toujours cru, je suis un optimiste.

Car j’aime trop la vie pour qu’elle me rende triste.

Et pourtant, j’en ai vu qui recherchaient un chien :

Un costaud, un petit ou même un moyen.

Mais jamais, devant moi, jamais ils ne s’arrêtaient.

J’ai bien cru un moment que je m’etais trompé ;

Qu’ils étaient tous comme ceux qui m’ont abandonné,

Et que, ma vie durant, jamais je ne sortitais

De cette prison triste où j’etais enfermé.

Mais un jour, le soleil était au rendez-vous.

La porte s’est ouverte. J’etais gai, j’etais fou.

On m’a mis un collier et nous voilà partis.

Partis pas pour longtemps, pour un après-midi.

C’etait une promenade, mais c’etait mieux que rien.

Enfin, je ne voyais plus les barreaux de ma cage,

J’avais devant les yeux un autre paysage :

Une route, puis un bois, des prés où gambader ;

Des copains, des copines, des odeurs à renifler.

Puis nous sommes rentrés. Moi, ivre de liberté,

J’ai regagné ma cage, avec le cœur serré.

Mais l’espoir me tenait, j’savais qu’elle reviendrait.

J’etais sûr, à présent, j’allais être adopté.

Maintenant, j’ai une sœur, une maîtresse,une maison.

La gamelle assurée, l’canapé du salon.

Je m’endors sur le lit, ou bien dans ma corbeille

Et même les yeux fermés, je sais qu’elle me veille.

Elle m’a appelé Gadget, pour faire un pied-de-nez,

A eux mes anciens maîtres, qui m’ont abandonné.

A vous, tous mes copains, qui du fond de vos cages,

Espérez comme moi, ne perdez pas courage ;

Car votre tour viendra, ça, j’en suis bien certain, 

Et l’on vous offrira une belle vie de chien.