Rencontres de Bamako, chapitre 1 – Demeure faite d’on ne sait quel saint à se vouer
Les Rencontres de Bamako – Biennale africaine de la photographie livrent une édition 2022 de haut vol, centrée sur « sur la multiplicité, la différence, le devenir et le patrimoine ». Notre correspondant Arthur Dayras raconte le premier des cinq chapitres, organisé au Musée national du Mali.
Passer d’un musée à l’autre, d’une artère à l’autre, dans le sempiternel flux des voitures, des scooters et des passants peut se révéler être un moyen curieux, mais tangible d’appréhender une ville. Certains avanceront qu’il vaut mieux y fréquenter ses gargotes et ses bords de fleuve. D’autres useront leurs semelles dans la poussière ocre de Bamako et les plus tristes rétorqueront que le temps n’est pas aux visites touristiques.
Dans l’avion, un négociant orpailleur vantait les mérites vingt-quatre carats du commerce aurifère à ma voisine et listait ses grossistes où faire fortune. Le cadre était posé. La ville avait pour lui la promesse d’une chasse, d’une conquête, moins peut-être le charme de ces premières fois où l’on regarde curieux comme une bête le quotidien des autres. L’inconnu en voyage vient toujours de soi, comme bousculé et sensible de voir un autre monde passer à un autre temps. Je perdis mon orpailleur. Espérons qu’il tombe dans sa bouche le maître-mot de cette biennale : « Les personnes de la personne sont multiples dans la personne » (« Maa ka Maaya ka ca a yere kono »).
Le thème de la 13e édition des Rencontres de Bamako soutient une vision photographique de l’identité comme multiple et fragmentaire. Pensée par Cheick Diallo, designer et Délégué général des Rencontres de Bamako et le commissaire d’exposition Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, la biennale déploie sur cinq sites hétéroclites, aux présences incarnées, des trajectoires photographiques multiples qui s’incarnent profondément dans l’intention de leurs artistes.
La première des expositions se déploie dans le Musée national du Mali sur des murs ocres et terres particulièrement bien sentis. L’œuvre Infinite in nine frames de Neville Starling frappe d’entrée par sa référence aux images séquentielles d’Eadward Muybridge. Déployée en une fresque de neuf tirages, l’œuvre illustre la syncope d’un danseur, son jeu avec la pesanteur autant que le dessin de ses jambes, bras et torses à l’œuvre. Son découpage en plusieurs instants autant que le procédé photographique utilisé l’inscrivent dans la photographie conceptuelle quand son auteur préfère souligner son lien avec ce qu’Achille Mbembe a appelé « l’architecture de la survie ». Le fait de voguer apporte la « capacité de déconstruire, de réimaginer, de connecter et de recréer des objets, des relations et des processus au quotidien ».
La fresque photographique de Neville Starling illustre à merveille la pensée de cette biennale, qui fait du corps comme de l’esprit un ensemble volatile, incertain, flottant. L’installation de Binta Diaw Paysages corporels s’avère elle plus marquée dans son affirmation. Les deux photographies affichées de part et d’autre du mur semblent plonger dans un monticule de terre. L’artiste affirme avec force la singularité du corps féminin, sa puissance comme son indépendance en le reliant à la primauté de la nature.
Le festival donne aussi la part belle à la vidéo, à travers une sélection de films à vocation plutôt documentaire. Celui d’Ebti Nabag suit le quotidien des « Tea Ladies du Soudan », des « femmes à thé » qui se chargent d’un rituel culturel, voire national, et qui remplissent par leurs gestes et leurs métiers une fonction unificatrice de leur pays.
La grande réussite de cette exposition tient enfin à cette courte série de photographies de Maya Louhichi, « 01-05. Et dans la terre je me souviens ». Artiste franco-tunisienne, Maya Louhichi affronte le souvenir de son père, décédé en 2018 et donne en quelques images une profonde évocation de sa douleur et de son attachement. « Nous partagions tous deux l’amour de l’image et il m’est apparu indispensable de m’exprimer sur sa mort et l’impact de cette perte au quotidien et dans ma réalité ». La photographie de ces draps flottants, froissés, absents est un bouleversement autant que cet autoportrait, où le visage de la photographe disparaît dans le creux de son coude. « Où sont mes souvenirs ? Qui suis-je maintenant ? Et où est-ce que je vais ? » résonnent comme autant que questions que la photographie ne peut résoudre, mais simplement creuser encore, et encore.
Les Rencontres de Bamako 2022
Musée national du Mali
M252+C6C, Bamako, Mali
https://www.rencontres-bamako.org