Excellente pièce de théâtre de Friedrich Dürrenmatt sur la perversion de l’âme humaine et ce Maudit argent ! qui corrompt.
Une vision pessimiste où personne ne semble épargné, quel qu’il soit, chaque personnage semblant sombrer dans cette sorte de schizophrénie collective qui fait présenter sous les dehors de la justice la pire des compromissions.
Et à ceux qui pensent que « l’argent ne fait pas le bonheur », nulle meilleure illustration que cette histoire qui, sous couvert de la recherche d’une opulence artificielle, va conduire tout un village vers la damnation. Malgré de « belles » idées, comme celle du personnage de l’artiste local, selon lequel « la vie est triste, l’art est gai ».
Certains personnages sombraient dans les délires des théories du complot pour expliquer l’état de faillite avancée dans lequel se trouve cette petite ville à l’abandon (« C’est un coup monté par les francs-maçons », « Une machination des Juifs », « La haute finance est derrière », « Les communistes ! »). Un reflet de l’époque qui est celle de Friedrich Dürrenmatt (et dont les relents sont toujours hélas tenaces). Mais nulle profondeur ou âme qui se voudrait plus élevée, tout en pressentant ses faiblesses (le Proviseur), ne résiste au tourbillon de l’avidité. Une sorte de contagion à la Rhinocéros, de perte du libre-arbitre par une forme d’hallucination collective, de perte du sens commun, où chacun pratique le reniement.
Et c’est là qu’intervient cette vengeance de la vieille dame contre cet amour de jeunesse contrarié qui, par les ressorts hélas classiques de la corruption vont tendre à pervertir les plus belles âmes. Par un processus infernal, presque inexorable, digne d’une tragédie grecque.
Il y a quelque chose aussi ici du Comte de Monte-Cristo ou, comme le suggère l’un des personnages lui-même du mythe de Médée.
La vieille dame a du vécu. Elle a le sens de la psychologie, et surtout la connaissance de la nature humaine. Son plan est machiavélique. Mais qui est le plus coupable de ce qui semble se préparer ? Elle ou ceux qui s’apprêtent à abandonner leur âme au profit de la plus honteuse des compromissions ?
— Friedrich Dürrenmatt, Le Livre de Poche, 159 pages.